Jamais sans famille

 

Ce n’était pas l’idéal. Nous étions pauvres et très à l’étroit pour grandir dans un deux pièces et demi. Sept enfants, ce n’est pas rien. Une maman courageuse, voire héroïque ; un papa trop souvent absent et perpétuel grand adolescent ayant du mal à se responsabiliser. Comment lui en vouloir ? Il n’avait connu ni l’affection de sa mère ni même l’identité de son père. Non, ce n’était pas la famille rêvée, et quelque part, j’en souffrais. Mais c’était ma famille.

 

Encore enfant, je me souviens d’avoir suivi avec attention un feuilleton télévisé qui s’intitulait : « Sans famille ». C’était une adaptation du beau roman d’Hector Malot, paru en 1878, qui connut diverses mises à l’écran tant cinématographiques que télévisuelles. Il conte l’histoire du petit Rémi qui vit avec sa nourrice, madame Barberin, qu’il a toujours  pris   pour sa vraie mère. Mais  un jour, monsieur Barberin  lui apprend qu’il est en réalité un enfant trouvé et qu’il ne peut  plus le nourrir ; il décide de le vendre à monsieur Vitalis qui gagne sa vie en faisant de petits spectacles  avec ses animaux. Celui-ci le traite comme son propre fils. Par une terrible nuit d’hiver, monsieur Vitalis meurt laissant Rémi seul. Vous devinez l’émotion qui se dégage de ce roman. Bien des fois, mes larmes ont coulé, s’unissant à celles du petit Rémi dont le visage, en gros plan sur l’écran de télévision, était  particulièrement expressif. Je ne pouvais m’empêcher de me dire : « Moi au moins, j’ai une famille ».

 

Des petits Rémi, j’en côtoie tant, à des degrés différents, particulièrement parmi les enfants du patronage. Plusieurs sont de familles éclatées, avec des parents divorcés, en mal d’être mieux aimés. Souvent, à l’écoute de leurs souffrances, je leur répète : « Tu as une maman ; tu as un papa. Tu rêverais d’avoir une famille unie, tu souhaiterais tellement vivre sous le même toit avec eux deux … avec tes frères et sœurs. Ne jette pas la pierre à tes parents. Honore-les ; respecte-les ; aime-les. C’est ta famille ; ne l’oublie jamais. Toi au moins, tu as une famille, si blessée soit-elle ».

 

J’aime aussi à les renvoyer à la Sainte Famille que nous fêtons aujourd’hui. « Tu as un Père dans le Ciel, dont Saint Joseph se veut être le reflet ; tu sais, c’est un Père plein de tendresse. Tu as aussi une maman, toujours là, débordante d’affection, qui te serre sur son cœur ; c’est la Vierge Marie. Et puis, tu as Jésus ; c’est ton Maître et Seigneur, certes, mais c’est aussi ton Frère. Oui, tu as une famille dans le Ciel. Tu as même une grande famille sur la terre ; c’est l’Eglise. Toi, tu as au moins une famille ; tu n’es jamais sans famille »

 

Comme il serait bon que nos dirigeants se mobilisent pour soutenir les familles. C’est un trésor dont on ne saurait se passer sous peine de désespérer. Hier soir, je suis tombé par hasard sur les vœux de Noël adressés par la reine Elizabeth II d’Angleterre à sa nation. Ils méritent d’être relevés et médités :

« Il est vrai, dit-elle, que le monde a été confronté à des moments de noirceur cette année mais l’Evangile selon Jean contient un verset plein d’espérance souvent prononcé dans les chants de Noël : « La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas étouffée« . Selon un vieux dicton : « Il vaut mieux allumer une bougie que maudire l’obscurité« . Il y a des millions de personnes qui allument des bougies d’espoir dans le monde aujourd’hui. Noël est un bon moment pour les remercier et remercier ceux qui apportent de la lumière dans nos vies. Je vous souhaite un excellent Noël ».

 

Tant de familles allument des bougies ; tant de familles, sans prétendre être idéales, sont sources de bonheur ; tant de familles, au jour le jour, portent la lumière. Et la lumière de la famille, les ténèbres ne pourront l’étouffer, jamais notre humanité ne pourra s’en passer. Alors, Noël, et particulièrement cette fête de la Sainte Famille, est  un bon moment pour remercier les familles.

 

P. Gilles Morin

Curé

De bondissements en bondissements

 

« Réjouis-toi, comblée de grâce » lui avait dit l’ange Gabriel … et elle a bondi de joie en Dieu son Sauveur. « Voici que tu vas concevoir et enfanter un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus », lui avait annoncé le messager du Seigneur … et elle n’a pas manqué de méditer dans le silence et la prière ce si grand mystère. Reste-t-elle statique pour autant ? La voilà maintenant qui se rend avec empressement chez sa cousine Elisabeth. Ne porte-t-elle pas en son sein le Verbe, le Messie, l’unique Sauveur ? Comme elle est légère, leste, aérienne ! Comme dit l’Ecriture (Ha 3,19), « elle marche dans les hauteurs et le Seigneur lui donne l’agilité du chamois ». Toute la joie messianique se lit dans son élan. Qu’ils sont beaux sur la montagne les pieds de celle qui porte en elle la Bonne Nouvelle (cf. Is 52,7) !

 

C’est maintenant, non plus un ange mais Elisabeth qui loue la Vierge tant attendue, « l’Alma redemptoris mater », celle qui doit enfanter l’Emmanuel. Elle est comme un extraordinaire haut-parleur du ciel. « Tu es bénie entre toutes les femmes, lance-t-elle à Marie, et le fruit de tes entrailles est béni ». Ô Combien cela est vrai ! Et l’on passe d’une exultation à l’autre, de la joie de Marie à celle de sa cousine visitée. Et l’on passe aussi d’un bondissement à l’autre, de celui de la Vierge à celui du petit Jean dans le sein d’Elisabeth.

 

Attention : nous, nous savons. Oui, nous savons ce qu’est Noël ; nous connaissons l’essentiel de ce profond mystère et déjà nous exultons et nous bondissons de joie. Tout, en nous, se met à frétiller et à exulter à quelques jours de la solennité de la Nativité. En offrant aujourd’hui à notre méditation le mystère de la Visitation, l’Eglise nous invite à entrer dans une danse qui part de Marie. Oh ! elle ne nous propose ni la break dance, le locking, le smurf ou le krump qui sévissent dans les boîtes de nuit et sont davantage des trémoussements d’excitation que des bondissements d’exultation. Non ! L’Eglise nous propose plutôt d’entrer dans une grande farandole. Savez-vous que cette danse traditionnelle est considérée comme la plus ancienne et qu’elle est la plus caractéristique et la plus représentative de la Provence. Sa popularité, nous dit-on, l’a même faite entrer dans la crèche. N’avons-nous pas, ici, à Notre-Dame de Nazareth, une magnifique crèche provençale ?  Exultant de joie, nous sommes donc bel et bien appelés à prendre la main de celles et ceux qui ne savent pas ce qu’est Noël et qui trop souvent restent figés dans la morosité de notre monde. « Allez, viens, prends ma main, entre dans la danse. Je t’annonce une grande joie : le Sauveur vient ; il est là … Ce n’est qu’un petit enfant ; n’aie pas peur. Viens réjouis-toi ; prends ma main ».

 

Il nous faut donc désirer vivre un Noël en farandole. Cette grande farandole part de la Vierge Marie. Elle bondit ; elle bondit ;  et au centre, bien sûr, il y a Jésus : quelle merveille !

 

P. Gilles Morin

Curé