Bonnet d’âne

« Vous trouverez une ânesse attachée et son petit avec elle, dit Jésus. Détachez-les et amenez-les moi. Et si l’on vous dit quelque chose, vous répondrez : « Le Seigneur en a besoin«  ». Voilà donc l’ânesse et l’ânon libérés pour porter Celui qui va être acclamé. Quel honneur ! Habituellement on vient les détacher pour tracter et labourer, pour les charger de lourds et pesants fardeaux. Nous connaissons la suite : l’entrée triomphale à Jérusalem sous les cris des « Hosanna ! » Jamais cet ânon n’avait connu cela, lui l’humble serviteur de ses maîtres. Avec ses grandes oreilles il entend cette foule répéter : « Hosanna au fils de David, Hosanna au plus haut des cieux ! » Ces acclamations en disent long. « Hosanna ! » Ce mot hébreux signifie en effet : « Sauve, je t’en prie »… et le peuple a tellement besoin d’être sauvé.

Nombreux êtes-vous, sans doute, à connaître la fable de Jean de La Fontaine, « L’âne qui portait les reliques ». Moins nombreux, peut-être, sont ceux parmi vous qui savent que notre fabuliste  s’est inspiré d’Esope, écrivain grec du VIème siècle avant notre ère, qui déjà nous parlait d’un âne. « Un homme, écrivait-il, ayant mis une statue de dieu sur le dos d’un âne, le conduisait à la ville. Comme les passants se prosternaient devant la statue, l’âne, s’imaginant que c’était lui qu’on adorait, ne se tint plus d’orgueil ; il se mit à braire et il refusa d’avancer. L’ânier, devinant sa pensée, lui dit en le frappant de son gourdin : « Pauvre cervelle ! il ne manquait plus que cela, de voir un âne adoré des hommes. »

Notre ânon de l’Evangile n’est pas chargé d’une simple statue ; il porte un trésor inestimable : Jésus de Nazareth, le Fils éternel du Père, vrai Dieu né du vrai Dieu. Il ne s’arrête pas ; il ne s’illusionne pas. Plein de sagesse, il accomplit sa mission. Ensuite, il s’en retournera dans son laborieux quotidien. Il retrouvera ses charges de pierres et de paille. Lui qui a de grandes oreilles entendra peut-être, quelques jours plus tard, la foule crier « À mort, à mort, crucifie-le !» Il ne comprendra pas ; il se souviendra seulement avoir porté cet homme Jésus, Dieu né de Dieu qu’il ne saurait oublier. Peut-être même le verra-t-il passer près de lui en son chemin de croix. Alors il braiera, comme pour demander qu’on le détache afin de lui permettre de porter à nouveau ce Jésus jusqu’au Golgotha.

Brave âne de l’Evangile ! Interrogeons-nous : Qui est un âne, au sens où nous l’entendons aujourd’hui ? Il fut un temps, au 18ème siècle, où le bonnet d’âne était passé à des élèves, non pour les punir mais pour les encourager. À cette époque en effet, l’âne était considéré, par certains, comme sage et savant. On citait en exemple l’âne de ce dimanche des Rameaux. En affublant un mauvais élève de cet étrange bonnet aux longues oreilles, on espérait donc qu’il allait être gagné par ces qualités.

Le temps du carême, marqué par nos efforts, nous a préparés à nous laisser détacher. Le Seigneur veut avoir besoin de nous pour le porter … le porter sous les acclamations, le porter jusqu’au Calvaire. Lui, de condition divine, a pris la condition de serviteur, il s’est abaissé. C’est son enseignement à l’école de l’Amour. Reconnaissons que nous sommes trop souvent de piètres élèves. Nous sommes tellement portés à nous enorgueillir, à nous défiler, à fermer nos oreilles aux appels du Seigneur. Demandons à Jésus de déposer sur nos têtes un bonnet d’âne, non pour nous punir mais pour nous encourager … oui, nous encourager à ressembler un peu plus à cet humble âne de Jérusalem qui, un jour, a porté sur son dos Celui qui a porté sur ses épaules tout le péché du monde.

Père Gilles Morin, Curé