Peut-être le voyez-vous parfois vers l’angle des rues Lecourbe et Vasco de Gama. Il vient souvent à la paroisse, presque tous les jours, parfois même plusieurs fois par jour. Il me paraît avoir une bonne trentaine d’années. Sac au dos, il va d’un bon pas, longe l’allée de l’église, va jusqu’au fond de la cour et s’arrête au niveau des toilettes. Là, il remplit sa bouteille d’eau et fait un brin de toilette. Il lui arrive de s’asseoir sur le banc, de changer de maillot et de chaussettes. Il tire de son sac quelques victuailles qu’il mange proprement, veillant à ne rien salir ni laisser trainer. J’aime l’aborder et le saluer. Je lui tends la main ; il me tend la sienne, jamais pour quémander, toujours par amicale réciprocité. L’échange est court ; il est étranger et ne parle pas français. Mais nos regards se sourient… il m’est si sympathique ; plus encore, c’est un pauvre, un émigré, un frère en humanité. Je ne connais ni son nom ni son pays d’origine ni sa situation familiale. Je sais moins encore ce qui l’a conduit chez nous ; je ne l’ai pas appelé, mais il vient et revient. Est-t-il chrétien ? Là encore, je ne sais. Je ne le vois jamais s’arrêter à l’église pour prier. Mais comme j’aimerais être pour lui la voix de Jean Baptiste lui désignant l’Agneau de Dieu, celle du Seigneur l’appelant par son nom, celle de Jésus lui disant : « Viens et vois ». Ah oui ! s’il entrait ne serait-ce que quelques instants dans notre église, que verrait-il ?
Il verrait le baptistère … il saurait qu’il y a une eau qui lave et qui abreuve. Il découvrirait que cette eau vive est seule capable d’étancher toute soif.
Il verrait aussi le tabernacle … il apprendrait que là se trouve le pain vivant descendu du ciel et que » qui mange de ce pain n’aura plus jamais faim « .
Il verrait la croix … il vibrerait avec celui qui fut chargé lui aussi, avant lui et bien plus que lui, d’un fardeau autrement plus lourd que son sac à dos. Il serait touché par Jésus, portant sa croix, mourant sur la croix.
Comme j’aimerais que cet homme, cet émigré, ce pauvre, vienne me trouver un jour pour me dire : « Tu m’as appelé, me voici », et pouvoir lui répondre : « Je ne t’ai pas appelé, mais viens dans l’église et vois ; Je ne t’ai pas appelé, mais réponds à Celui qui t’appelle : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute » ».
Je prie pour cet homme ; il y en a tant d’autres à travers le monde, dans notre pays, dans notre quartier. En cette journée mondiale du migrant et du réfugié, nous ne saurions les oublier. Ils nous renvoient à nous-mêmes, à ce que nous vivons, à ce que nous sommes. Tous en effet, nous cheminons ici-bas d’un pas plus ou moins alerte avec notre lot de fardeaux ; Tous nous avons des moments où à l’intime de notre cœur, nous nous sentons bien crasseux ; Tous nous savons que nous ne sommes sur cette terre que des étrangers, des hôtes de passage. Nous sommes finalement des migrants cherchant refuge. N’est-ce pas ce que nous reconnaissons humblement lorsque, tournés vers la Vierge Marie, nous chantons le « Salve Regina » ? : « Enfants d’Eve exilés, nous crions vers toi, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes… après cet exil, montre-nous Jésus, le fruit béni de tes entrailles… ».
Oui, tous nous sommes des hôtes de passage … Mais nous, nous savons où nous allons ; nous reconnaissons la douce voix qui murmure en notre cœur et qui n’est autre que celle du Seigneur. Nous savons qu’il est notre Sauveur, qu’il est l’eau vive, qu’il est le pain de vie, qu’il est La Vie. N’avons-nous pas le devoir de le faire découvrir et savourer à tous nos frères ?
Père Gilles Morin
Curé