C’était une autre époque ; les temps ont changé. Des hommes de la génération du Père Lecuyer se rappellent leur Maître des novices. C’était un homme quelque peu original. En entrant dans son bureau, un petit squelette suspendu vous accueillait. Avant d’entamer toute conversation, le Père Maître vous aspergeait d’eau bénite. Le message était clair : Satan est à l’œuvre ; il faut commencer par le chasser. Il fait œuvre de mort ; il faut donc l’expulser pour être libéré et vivre de Jésus-Christ. Cela peut faire sourire. Ne nous empressons pas de tourner en dérision de telles attitudes. Elles sont porteuses d’un message essentiel. Si les temps ont changé, la réalité demeure : Satan est bel et bien à l’œuvre. Lequel d’entre nous n’a pas fait l’expérience d’Eve ? Qui parmi nous n’a dû s’avouer à un moment ou à un autre : « Le serpent m’a trompé, et j’ai mangé ».
Si le Pape François a la réputation médiatique d’être le porte-parole et l’ami des pauvres, on oublie trop facilement qu’il est aussi la voix du Christ sur notre terre qui désigne et dévoile le Malin trompeur faisant œuvre de mort. Cette dénonciation est présente dans de multiples interventions du Saint-Père. Notre monde prétendument émancipé et éminemment naïf en a bien besoin. Le Pape François peut reprendre à son compte les paroles de l’Apôtre Paul : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé ». Il croit ; oui, il croît à Satan, non comme à une simple force obscure touchant à nos fragilités psychologiques, mais comme étant l’Adversaire, le Diviseur, l’Ennemi … cet ennemi qui ne nous veut que du mal.
C’était une autre époque ; les temps ont changé. L’un de nos religieux âgé se souvient encore de l’un de nos pères qui prêchait très longuement, plus longuement encore que votre curé. Ses Frères en communauté l’avaient taquiné à ce sujet. Le dimanche suivant, ce prêtre monta en chaire et commença sa prédication. Elle fut particulièrement brève … on ne peut plus brève au point que je peux vous l’écrire dans son entier :
« Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, amen ! Satan, va-t’en. Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, amen ! ».
Puis ce prêtre redescendit de la chaire. Son homélie était finie. Tel un autre Christ, il venait de s’en prendre à l’antique serpent qui devait être expulsé par la puissance de l’Esprit.
L’Evangile de ce dimanche nous rapporte qu’aux yeux des scribes de son temps, Jésus passe pour un possédé, un illuminé, un aliéné, un détraqué. De nos jours, identifier l’action satanique et destructrice du Malin a mauvaise presse. Dans le prologue de son excellent livre « Le diable préfère les saints », Jacqueline Kelen écrit : « Pour le commun des mortels – qui se déclarent aujourd’hui tous égaux dans l’athéisme et la laïcité –, les esprits mauvais, les puissances des ténèbres et autres phénomènes diaboliques surgissent simplement d’une conscience maladive ou de l’inconscient vaste et flou ; ils sont le signe d’un mental agité, d’un psychisme tourmenté. Et l’on invite à entreprendre une analyse ou une psychothérapie celui qui se dit hanté ou attaqué par des forces obscures et récidivantes. Si cela ne suffit pas, on enferme dans un asile ces personnes jugées aliénées. Satan se frotte les mains, il peut continuer son œuvre incognito ».
C’est une autre époque ; les temps ont changé mais Satan, lui, reste à l’œuvre. Nous le savons et parce que nous croyons, nous parlons. Nous n’avons aucunement perdu la tête. Nous réaffirmons simplement et solennellement que face à notre ennemi, Jésus est notre ami ; plus encore il est notre Sauveur et notre Libérateur. Il est le Dieu vainqueur.
Père Gilles Morin, Curé