Quand j’étais petit, un monsieur des conférences Saint Vincent-de-Paul venait à la maison, la veille de Noël, et offrait de beaux jouets à notre famille qui était bien pauvre. Nous étions 7 enfants. Chacun avait sa part ; la répartition n’était pas des plus aisées. Il fallait éviter les jalousies. Une année, j’eus la joie de me voir attribuer un jeu de construction. Avec les morceaux de bois qui le constituait, j’aimais édifier de belles maisons, voire des châteaux, emboitant patiemment petites et grandes planches, y ajoutant délicatement de multiples éléments embellissant l’édifice. L’ouvrage étant achevé, je m’émerveillais et me mettait à rêver : « un jour, je bâtirai ainsi une belle maison pour maman » … Je lui avais d’ailleurs tant de fois promis. Je n’étais qu’un enfant ; je ne voyais pas, je ne réalisais pas. Je ne prenais guère la mesure de l’œuvre que, patiemment, ma maman accomplissait au-dedans de moi. Sans nul doute, elle aurait pu me répéter : « Tu sais, Gilles, c’est moi qui bâtis et te bâtirai une maison … ta maison, celle de ton cœur. C’est moi qui ferai de toi un homme, un vrai … un chrétien ».
L’année suivante, je me plus à édifier la crèche près de la cheminée avec mon jeu de construction. Elle était vraiment belle ; j’y avais mis tout mon cœur. Tous ceux qui la voyaient me félicitaient. J’étais si fier. Là encore, j’étais encore à l’âge où je ne percevais guère la voix du Seigneur qui, pourtant, me murmurait : « Merci, Gilles … mais, tu sais, « est-ce toi qui me bâtiras une maison pour que j’y habite ? » Sois en sûr, c’est moi qui te ferai une maison ».
Nombreux sommes-nous à avoir mis en évidence une crèche dans notre appartement. Quel que soit notre âge, nous avons accompli cet ouvrage en y mettant tout notre cœur. Et voilà que la solennité de la Nativité vient nous rappeler que Dieu est le Maître d’œuvre qui chamboule tous les plans et déconcerte les plus grands architectes. Tout d’abord, il se choisit pour demeure le sein d’une humble vierge qu’il s’est préparée de toute éternité. Autre choix stupéfiant : pour venir jusqu’à nous et partager notre condition humaine, le voici, emmailloté, trônant dans une pauvre crèche. Pour sauver les pauvres pécheurs que nous sommes, il établit comme une grande passerelle qui part du bois de la crèche pour aller jusqu’au bois de la croix. Tout se tient, tout s’emboîte de manière si déroutante pour nos yeux si peu dessillés et nos regards si souvent étriqués.
Quelle merveille que le mystère de Noël ! Il est une invitation pressante à nous défier de nos prétentions à construire nos vies selon nos petites catégories. Il est une exhortation à ne pas nous enfermer dans nos projets, ni vouloir tout maîtriser, ni chercher à nous emparer de notre salut comme si nous pouvions l’accomplir orgueilleusement à coups d’efforts et de sacrifices. Une telle édification ne peut que conduire au désenchantement, au découragement et finalement à l’effondrement. « Si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain » affirme le psaume 127.
En ce Noël 2017, devant l’humble constat de nos vies abîmées, fissurées et ébranlées, laissons le divin architecte restaurer tout notre être en y déposant l’Enfant. C’est Lui le vrai bâtisseur ; c’est Lui qu’il nous faut accepter et accueillir joyeusement comme Sauveur.
Père Gilles Morin, curé