Dimanche dernier, j’étais au stade Suzanne Lenglen vers 15h00 pour regarder et encourager nos jeunes du patro qui jouaient au football en match de championnat. L’ambiance était excellente ; la partie était serrée ; le score à la mi-temps était de 2 à 2. Je profitai de la pose pour aller saluer l’arbitre. Nous avions cinq minutes pour papoter. Cet homme se mit alors à gémir sur les misères de notre époque. « Moi, me dit-il, je ne suis pas croyant. Voyez toute cette violence, ces incivilités, cette méchanceté, ces conflits et ces guerres. Regardez comme les hommes se comportent sans solidarité, tels des loups au milieu des loups. Non, je ne crois pas en Dieu. Si Dieu existait, il viendrait pour remettre de l’ordre, pour régler tout cela ». Puis mettant le sifflet à sa bouche, il souffla pour laisser résonner le signal de la reprise du match. Je n’eus que le temps de lui dire : « Vous savez : Dieu, il est déjà venu ». Cet homme avait l’habitude, en tant qu’arbitre, de discipliner les joueurs au mauvais comportement. Il était armé de son sifflet. Il pouvait arrêter le jeu quand il le voulait, sermonner les contrevenants, sanctionner les récalcitrants. Il avait le pouvoir de brandir un carton jaune, et même de sortir un rouge qui valait l’exclusion. Selon lui, voilà le Dieu qu’il fallait à notre société qui n’était finalement qu’un vaste terrain de football, sans foi ni loi.
La semaine prochaine, il sera demandé aux chrétiens de langue française d’effectuer un changement dans la sixième demande de la prière du Notre Père. Nous ne dirons plus « Ne nous soumets pas à la tentation », mais « ne nous laisse pas entrer en tentation ». C’est une vraie tentation de concevoir notre Dieu comme un arbitre efficace et inflexible, réglant magistralement nos problèmes humains pour un bien-être commun. Certes, le tableau n’est guère reluisant ; certes le terrain où nous vivons est bien accidenté, mouvementé et ravagé ; certes, la partie que nous « jouons » nous confronte à l’Adversaire par excellence qui ne nous veut que du mal. Nous pourrions reprendre ces mots de Charles Péguy qui résonneront avec une force particulière dimanche prochain à l’occasion de notre pèlerinage à Chartres : « Notre Père, notre Père qui êtes au royaume des cieux, de combien il s’en faut que votre règne arrive au royaume de la terre … Ô mon Dieu, si on voyait seulement le commencement de votre règne. Si on voyait seulement se lever le soleil de votre règne. Mais rien, jamais rien. …Ce qui règne sur la face de la terre, rien, rien, ce n’est que la perdition … On dirait, mon Dieu, mon Dieu, pardonnez-moi, on dirait que votre règne s’en va. Jamais on n’a tant blasphémé votre nom. Jamais on n’a tant méprisé votre volonté. Jamais on n’a tant désobéi.»
« Dieu est déjà venu » ; je l’ai clairement affirmé à cet homme se démenant sur un terrain pour qu’un match de football se passe bien. Oui, il est venu, non point comme l’intervenant omniprésent et imposant, mais comme le bon berger qui nous cherche par amour, qui nous guérit par amour, qui nous redonne force par amour, qui va jusqu’à donner sa vie par amour. Son royaume n’est pas de ce monde ; Jésus n’a cessé de l’affirmer et de l’attester. L’Eglise, en la belle préface de ce jour, nous parle de son « règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix ». N’entrons donc pas en tentation, celle qui voudrait réduire notre Sauveur à un arbitre, celle qui voudrait nous séduire au point de fermer notre cœur à la voix du Christ : « « Mon royaume n’est pas de ce monde », nous répète-t-il ; non, je n’étale pas ma puissance selon vos manières humaines ; Ma puissance n’est autre que celle de l’Amour.
Je n’ai pas eu le temps de prolonger ma conversation avec cet homme à la mi-temps d’un match de football. J’aurais pourtant voulu ajouter : « Oui, Dieu est déjà venu … et il reviendra … et là, il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts, et son règne n’aura pas de fin. » N’est-ce pas ce que nous affirmons dans notre Credo ?
Père Gilles Morin, curé