J’en tremble encore pour elle ; je prie pour elle. C’était il y a quelques années. J’avais été appelé au chevet d’une vieille dame, seule, qui se mourait. Je savais qu’elle avait un fils qu’elle n’avait pas revu depuis plus de 40 ans. Quelle était la source de cette rupture ? je l’ignorais. La moribonde me fit bon accueil. Dans la conversation, j’abordais délicatement la question de son fils, lui demandant si elle avait de ses nouvelles, si elle savait où il vivait, ce qu’il faisait. Cette femme se raidit alors instantanément ; les traits de son visage se durcirent. Me relatant l’origine du conflit, elle conclut en me lançant avec violence :
– Ça, jamais je ne lui pardonnerai !
Deux jours plus tard, cette femme rendit son dernier soupir. Une voisine vint me trouver pour préparer la cérémonie d’obsèques. Il semblait évident qu’il y aurait peu de personnes à cette célébration.
– Son fils est-il au courant ? demandai-je.
– Je ne sais pas, mais de toute façon, il ne viendra pas.
Le jour des obsèques, au premier banc de l’église, le fils était pourtant là, en larmes. Je ne pouvais m’empêcher de me dire intérieurement : « Quel gâchis ! Quarante ans à entretenir sa rancœur et à s’entêter dans le refus de pardonner ! Vraiment, quel gâchis ! »
Face à un tel témoignage, comment ne pas laisser résonner en nous, comme un avertissement, les paroles de Ben Sira le Sage :
« Ne garde pas de rancune envers le prochain … Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors à ta prière, tes péchés seront remis… Pense à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin
et à ta mort … »
Notre histoire personnelle est souvent marquée par de multiples blessures, ressenties plus ou moins douloureusement : Injustices, calomnies, trahisons, persécutions etc … Certaines restent à vif et continuent à nous faire mal. Elles nous semblent même impardonnables. Que faire sinon contempler le Christ en Croix. Qui oserait, sous le regard miséricordieux du Crucifié, lui dire : « Seigneur, tu m’as tant pardonné, tu m’as sauvé ; tu m’as sauvé encore et toujours, mais moi, il ne saurait être question que je pardonne à mon frère, à ma sœur … non, jamais. » Avouons qu’il y aurait de quoi trembler pour le salut de notre âme. Lorsque nous sentons que nous sommes gangrénés par l’amertume et la rancœur, il nous faut nous mettre au pied de la croix et, bien humblement, demander à Jésus Miséricordieux : « Seigneur, lorsqu’il s’agit de pardonner, fais-moi la grâce de ne jamais dire « jamais »».
Père Gilles Morin, curé