A la simple lecture du début de l’Evangile de ce dimanche, le constat est évident : cette femme Samaritaine dont il est question ne comprend vraiment rien à rien. « Quelle cruche ! », – c’est-à-dire « quelle idiote ! » – pourrions-nous nous écrier. Or justement, elle est là avec sa cruche. Ce récipient est vide comme semble être vide son cœur. Chaque jour elle doit se rendre à ce puits de Jacob aux heures les plus chaudes pour éviter de croiser le regard condamnateur des habitants de Sykar. Pour eux, sans nul doute, quelle cruche que cette femme qui a eu cinq maris et qui vit encore avec un autre homme qui n’est pas son mari. Comment peut-on être aussi stupide ? S’imagine-t-elle qu’elle va trouver ainsi le bonheur ? Et plus encore, quelle pécheresse publique ! Comment pourrait-elle trouver grâce aux yeux de Dieu ?
Vous l’avez remarqué : Jésus ne s’impatiente pas ; Jésus ne s’irrite pas ; Jésus supporte tout et espère tout. Il est toute charité. Avec une pédagogie divine, il va faire passer cette femme des ténèbres à l’admirable lumière. Cette pécheresse, elle, se focalise sur sa cruche vide qu’elle vient remplir d’eau. Comme chaque jour, se dit-elle, elle la videra ensuite et il lui faudra la re-remplir à nouveau. Jésus, Lui, vise le cœur de cette Samaritaine qui, plus encore est vide. A-t-il jamais été vraiment rempli ; il veut donc y déverser les flots de son amour divin. Ce dialogue va aller jusqu’à la révélation stupéfiante de Jésus Lui-même, – la seule aussi nette dans l’Evangile – affirmant à cette femme : « Je le suis [le Messie, le Christ], moi qui te parle ».
Et si Jésus, fatigué, s’était emporté ; et s’il s’était adressé à cette femme en lui lançant tout de go : « Pauvre cruche ! », nous ne pourrions aujourd’hui méditer cette page de l’Evangile si riche d’enseignement et porteuse d’une magnifique révélation. Cette Samaritaine serait repartie avec sa cruche pleine d’eau mais l’intelligence toujours obscurcie et le cœur ô combien vide. Mais voilà ! Au terme de son dialogue avec ce rabbi juif, cette pécheresse laisse là sa cruche et repart comme un ange. Souvenez-vous de celui qui est apparu dans le ciel à Bethléem : « Je vous annonce une grande joie, a-t-il dit aux bergers, aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur ». La Samaritaine, elle, s’en retourne à Sykar pour proclamer : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Quelle Bonne Nouvelle !
Il nous arrive bien souvent d’être fatigué et donc d’éprouver le besoin de nous reposer. Nous sommes parfois confrontés à des personnes, proches ou éloignées qui nous semblent ne rien comprendre à rien. Certes, l’expression « Quelle cruche ! » est quelque peu tombée en désuétude mais, dans une société qui sombre trop souvent dans la vulgarité, ne sommes-nous pas prompts à la remplacer par un mot de trois lettres qui vient couper court à tout dialogue véritable ? Et chacun s’en retourne ainsi sa cruche remplie de rancœur et d’amertume. Si vraiment nous savions le don de Dieu, nos relations avec Dieu et avec nos frères auraient une autre délicatesse et une autre élévation.
Ce dimanche est marqué par nos Journées d’Amitié. C’est un temps de grâce. Chacun vient avec ce qu’il est, avec ses joies mais aussi avec le poids de la fatigue et des soucis. Chacun doit donc être accueilli à la manière de Jésus. Certains visiteurs viendront faire des achats, sacs à la main, visant à faire de bonnes affaires. À nous de leur faire découvrir le trésor plus profond qui est là, à leur portée mais que, peut-être, ils ne soupçonnent guère. Oui, à nous de leur dire, toujours à la manière de Jésus : « Si tu savais le don de Dieu ». Immergés quelques instants dans l’ambiance de nos Journées d’Amitié, puissent-t-ils alors découvrir le Christ, l’Amour incarné, qui seul peut remplir leur cœur et les conduire au bonheur. Un petit bémol pourtant, par rapport à la Samaritaine : Qu’ils repartent riches de la Révélation divine, certes, mais qu’ils n’en oublient pas leur sac bien rempli.
Père Gilles Morin, curé